Nick Moon - Nairobi (Kenya) - 17 Août 2004
Des
technologies adaptées, pour Entreprendre...
L'expression
"pauvreté dans le monde" évoque trop facilement l'image
des mendiants dénués de tout, dormant sur les trottoirs de Calcutta
et d'enfants Africains mourant de faim sur le sable, dans des déserts
arides. Ces situations sont évidemment bien réelles, et il faut
trouver des solutions pour y remédier, mais selon nous, ce tableau
noir des pays en développement occulte une grande partie de la population
: les entrepreneurs. Au Népal par exemple, chaque famille pratique,
pour subvenir à ses besoins, entre 5 et 18 activités distinctes
!! Du père fermier, guide et électricien à ses heures
perdues à la fille couturière, secrétaire et vendeuse
de fruits sur les marchés, ils déploient une énergie
héroïque pour s’en sortir et vivre dignement. Il ne faut
pas considérer les populations les plus pauvres du globe comme des
assistés inactifs, ils constituent sans doute plutôt le plus
grand réservoir de petits entrepreneurs que la terre n’ait jamais
porté.
Souvent pourtant, comme ils sont au bas de la pyramide, personne ne pense
à eux en tant qu’investisseurs ou consommateurs potentiels. C’est
fort de ce constat que nous sommes allés rencontrer Nick Moon, le fondateur
d’Approtec, une société à but non-lucratif dont
le but est de fournir à ce formidable vivier, les technologies adéquates
pour enfin développer significativement, et par eux-mêmes, leurs
entreprises.
Né à Singapour d’un père Irlandais et d’une
mère Anglaise, Nick est un voyageur dans l’âme. Après
avoir, à 18 ans, sillonné les routes d’Europe, il rentre
à Londres pour créer avec un associé un atelier d’ébénisterie.
Très doué, il est vite repéré par de riches Londoniens
amateurs de beaux meubles et se voit confié des travaux importants,
payés à prix d’or. Mais en 1982, lassé par la vie
sous le brouillard britannique, il décide de changer de cap, et sur
un coup de tête part en tant que volontaire dans une zone rurale de
l’Est Kenyan, à la frontière avec le Rwanda. Là-bas,
il forme des villageois à la menuiserie. Il se rend vite compte que
seuls ceux qui avaient l’esprit d’entreprise pouvaient mettre
ses conseils en pratique pour créer un petit atelier et prospérer.
« Autant se concentrer sur eux, ils tireront ensuite toute la population
derrière eux ».
Revenu pour travailler dans les bidonvilles de Nairobi, il rencontre en 1986
Martin Fisher, un brillant ingénieur Américain avec lequel il
passe des soirées entières à refaire le monde et à
trouver des solutions au développement de son pays d’adoption.
Il part du principe qu’en Europe, aux Etats-Unis ou au Japon, la richesse
se crée grâce au renouvellement de technologies coûteuses,
à chaque fois plus efficace et nécessitant des investissements
de recherche, de développement et de commercialisation considérables.
On dispose du capital pour investir mais ce qui est cher, c’est le temps
et le travail. A contrario, dans les pays en voie de développement,
on dispose de très peu de capital, mais le temps et la main-d’oeuvre
sont disponibles en quantité abondante et à bon marché.
Fort de ce constat, il fait une petite étude et prend conscience que
sept Kenyans sur dix sont fermiers, et que plus de 450.000 familles peuvent
accéder à l’eau pour irriguer leurs champs à 7
ou 8 mètres de profondeur. Cependant, très peu d’entre-eux
possèdent des pompes car elles coûtent 200 € quand le revenu
moyen par personne est de 280€ par an. Elles intègrent des pièces
détachées compliquées et coûteuses à changer,
ont une capacité bien supérieure aux parcelles de la majorité
des fermiers et fonctionnent à l’essence (chère et difficile
à se procurer).
« On se trouvait manifestement devant un grave dysfonctionnement du
marché, les clients étaient là, ils pouvaient investir,
mais la technologie adéquate n’était pas disponible ».
En 1994, avec l'aide de Martin Fisher, ils développent en quelques
mois une pompe manuelle, portable, adaptée aux besoins de la majorité
des fermiers et beaucoup moins chère (65 à 70 €). Il les
faire produire par 3 industriels Kenyans et les revends via deux canaux de
distribution bien distincts : les grossistes d’outillages et les magasins
labellisés Approtec, la marque qu'il crée.
Dix ans après, les résultats sont étonnants : 46.000
pompes ont été vendues, plus de 35.000 micros entreprises créées,
générant chaque année une richesse supplémentaire
de 37 Millions d’€ (0,5 % du PIB Kenyan !!). Les clients Kenyans,
Tanzaniens, Zaïrois ou Ethiopiens d’Approtec décuplent instantanément
leurs revenus grâce à ces technologies et même si l’investissement
de départ est conséquent, il est rentabilisé après
1 ou 2 mois !! De nouveaux produits comme une presse à huile manuelle,
une machine à faire des briques ou une autre à faire des bottes
de foins ont été lancés, et accueillis avec le même
succès.
Encore aujourd’hui en phase dite de développement, le chiffre
d’affaires généré par les ventes d’outillages
Approtec ne couvre que 25% de son budget de fonctionnement annuel. Soutenu
surtout par des capitaux privés de « Business Angels »
qui croient au modèle, mais aussi par des fondations, et des agences
de développement, Nick prévoit, grâce à une augmentation
soutenue des ventes et des économies d’échelles à
la production, l’équilibre pour 2008. Pour chaque € investi
dans Approtec, ce sont plus de 20€ qui, grâce à l’augmentation
des rendements, aux nouvelles cultures ou aux nouvelles activités,
qui sont créés par leurs clients.
Plus que l’image simplifiée que les médias nous renvoient
et que nous acceptons sans poser de questions, la vraie richesse des pays
en voie de développement provient de ces millions d’hommes et
femmes, triomphant d’obstacles inimaginables pour créer la majeure
partie de la richesse de leurs sociétés. Il ne leur manque souvent
qu’un petit quelque chose, mais qui fait la différence, comme
l’accès au crédit, aux titres de propriété
ou comme ici, à la technologie. Salué par Newsweek, Time Magazine
ou CNN, Nick ne prend pas la grosse tête et se concentre sur son objectif
premier : aider les entrepreneurs et répondre aux besoins du marché
car « lui seul décidera à l’avenir de notre pérennité
et de notre développement ». Marié et père de 4
enfants, Nick conclut notre entrevue en nous apprenant qu’il doit rentrer
chez lui pour s’occuper de sa dernière, une jeune Kenyane adoptée
il y a 2 ans. Et nous de penser, voilà un bonhomme au grand cœur
!!
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