C'est le cœur du bois qui est noir "ébène"
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Pour
que l'Afrique redevienne un Jardin d'Ébène.
C’est sur les pentes du Kilimandjaro, toit (de moins
en moins) enneigé de l’Afrique, que nous avons
rencontré Sebastian Chuwa, l’homme dont la vie
bat au rythme de « l’arbre de musique ».
Ce Tanzanien joyeux d’une cinquantaine d’années
est à l’origine d’un projet de conservation
du Mpingo – l'ébène Tanzanien –
qui souffre d’une surexploitation et dont les effets
pourraient conduire rapidement à l’extinction
de cette fierté nationale.
Sebastian Chuwa est né le nez dans les plantes, botaniste
de formation, son père herboriste et médecin
traditionnel l’obligeait dès son enfance à
faire pousser dans son jardin toutes sortes de plantes dont
il avait besoin. Cet exercice pas toujours simple fut la meilleure
façon pour le petit Sebastian d’acquérir
la main verte. Originaire de la région où il
vit encore avec sa famille à plus de 4900 mètres
d’altitude, il se forme au Kenya aux techniques de conservation
et étudie la botanique à Dar-Es-Salaam puis
à Londres. Il entame son engagement environnemental
en travaillant dans les somptueux parcs nationaux du Serengeti
et du Ngorogoro, où il étudie la biodiversité
et les dégats que l’homme lui cause. C’est
suite à une étude sur les forêts menacées
de la côte et de sa région d’origine qu’il
décide d’agir plus concrètement. Désormais,
il va créer des pépinières d’arbres
indigènes dont l’ébène, arbre célèbre
et menacé, pour inciter les populations locales à
préserver cette ressource. L’espèce est
en danger car les arbres jeunes ne résistent pas aux
feux de forêts fréquents en saison sèche,
quant aux arbres mûrs, ils fournissent aux sculpteurs
locaux un bois précieux pour objets d’art vendus
aux touristes, et aux luthiers occidentaux pour la fabrication
de pianos ou de clarinettes. Le surnom « d’arbre
de musique » prend alors une dimension plutôt
cynique…
Dans un reportage qui lui est consacré en 1992, Sebastian
se montre réaliste mais ambitieux : « Les 200
pousses d’ébène que je distribuerai cette
année ne feront sans doute pas une grande différence
au vu du rythme de déforestation que connaît
la région, mais les 20 000 que je planterai l’année
prochaine permettront peut-être de faire survivre l’espèce.
» Pour bon nombre d’observateurs, Sebastian incarne
alors un doux utopisme, d’autant que l’ébène
est une plante ingrate qui ne met pas moins de 30 ans à
atteindre l’âge adulte…
Mais l’utopisme revient à la mode. Lors de la
rediffusion de ce reportage en 1995 sur une chaîne du
câble américain, un ébéniste texan
James Harris a le coup de foudre. Il écrit une lettre
avec sa femme pour proposer son soutien à Sebastian.
La lettre, qui se contente de la mention « Sebastian
Chuwa Tanzanie », arrive miraculeusement à son
destinataire deux mois plus tard. James et sa femme Bette
se proposent d’aider Sebastian à créer
la fondation de sauvegarde de l’ébène
Tanzanien et de lancer une récolte de fonds.
Le projet prend alors une autre ampleur. Grâce au fonds
récoltés, il parvient à lancer un nombre
important de nouvelles plantations. Les arbres de moins d’un
an sont donnés aux populations locales qui les plantent
dans leurs champs et jardins (l’ébène
porte chance selon les croyances locales). L’ébène
est aussi un des rares arbres auprès duquel le maïs
continue à pousser, les racines de l’arbre enrichissant
le sol et améliorant sa fertilité.
Pour fournir tous les habitants de la région, qui réclame
toujours davantage de pousses, Sebastian a créé
de nombreuses pépinières. En 2003, ce sont plus
de 55 000 pousses, dont 20 000 d’ébène
qui ont été distribuées. Depuis 10 ans,
Sebastian a créé plus de 48 clubs « Nature
» dans les écoles primaires de la région
et chacune possède sa pépinière d’où
sortent plus de 1500 pousses par an. Les élèves
en transmettent à leur famille, plantent dans le jardin
de l’école et lorsqu’il rejoigne le secondaire
trouvent un jeune pour s’occuper de leur arbre et transmettre
cette « lourde » responsabilité.
En juin 2004, Sebastian Chuwa a fêté la naissance
du millionième arbre de ses pépinières.
Le ruisseau est devenu fleuve et Sebastian est dorénavant
reconnu et aidé par les autorités locales. Mais
la philosophie de Sebastian n’a pas changé, il
ne critique jamais l’exploitation par les populations
locales de ce bois précieux. Il sait qu’ un seul
arbre, que le sculpteur va mettre trois mois à travailler,
peut nourrir une famille entière. Ce qu’il condamne,
c’est l’irresponsabilité de ne pas replanter,
c'est à dire réinvestir dans ce capital naturel.
Depuis un an qu’il travaille avec les coopératives
de sculpteurs, il leur a fait replanter plus de 2000 arbres
qui compensent les 1500 qu’ils coupent chaque année.
Mais comme seulement 6 arbres sur 10 parviennent à
maturité, ce sont près de 7000 qu’il souhaite
leur faire planter l’année prochaine.
Rien ne l’arrête désormais ! Les 30 ans
nécessaires aux planteurs pour voir le fruit de leur
effort peut nous paraître démesuré, mais
nos trois mois de voyage en Afrique nous ont démontré
que la patience Africaine n’avait pas de limites…
Tant mieux pour l’avenir du Mpingo !
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