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L'informaticien
citoyen
La première rencontre avec Rodrigo Baggio est toujours
impressionnante. Il mesure près de 2 mètres,
mais son sourire, large et franc, nous met tout de suite à
l’aise. Ce jeune homme actif est chaleureux et pressé
par le temps, il n’en a pas perdu beaucoup. À
seulement 34 ans, il est à la tête d’une
des initiatives les plus remarquables en matière de
lutte contre l’exclusion digitale.
Fils d’un cadre d’IBM, Rodrigo est né dans
un milieu qui n’a rien à voir avec les favelas,
zones de pauvreté et d’exclusion qui jalonnent
les grandes villes brésiliennes. Pour autant, à
12 ans, il commence à s’engager dans des mouvements
de jeunesse et consacre un peu de son temps pour aider des
jeunes moins favorisés. C’est aussi à
12 ans qu’il se découvre une deuxième
passion, l’informatique, son père lui offre l’un
des tout premiers ordinateurs à usage personnel, sans
doute l’un des tout premiers au Brésil. Rodrigo
nous avoue que son adolescence s’est résumée
à cela. Il a consacré tout son temps à
son engagement social et à l’informatique. Très
bon programmeur, il quitte rapidement l’école
pour rejoindre les rangs d’une société
américaine pour travailler sur de complexes programmes
d’intelligence artificielle. Parallèlement, il
rejoint une Faculté en sciences sociales, puis crée
sa propre société d’édition de
logiciels.
À 23 ans, Rodrigo est une icône de réussite,
il est jeune, riche, possède un bateau pour explorer
la baie de Rio. « Mais, nous avoue-t-il, cette réussite
ne me semblait pas complète, j’avais réussi
sans m’être réalisé… ».
Il fait alors un rêve qui lui remet ses aspirations
d’adolescent en mémoire, celui d’un groupe
de jeunes discutant de leurs problèmes grâce
à l’outil informatique. Nous sommes en 1993,
l’Internet est loin de s’être vulgarisé.
« Je me suis surtout vu âgé de 80 ans en
train de me dire que j’aurais peut-être dû…
». Plus aucun doute, Rodrigo va rééquilibrer
son emploi du temps pour tenter d’accomplir ce rêve.
Il crée en 1994, le premier lieu virtuel (sur Internet)
pour que des jeunes puissent discuter des sujets de société
qui les touchent. Mais rapidement, il constate que son modèle
exclue les jeunes qui en ont le plus besoin, car il leur manque
l’outil, l’ordinateur.
Il décide donc de lancer la première campagne
nationale de récupération de matériel
informatique et crée la première école
d’informatique dans une favela en association avec une
petite ONG et une paroisse. Il en est le premier professeur
avec l’idée de former de futurs éducateurs
pour démultiplier le modèle. Bien que passionné
des nouvelles technologies, Rodrigo n’en reste pas moins
conscient qu’il s’agit d’un outil et donne
pour objectif à ses écoles de traiter de sujet
de citoyenneté et de se servir de l’informatique
pour agir. L’inauguration de la première école
en 1995, est un succès médiatique tel («
effet de mode oblige » reconnaît Rodrigo) que
plus de 70 volontaires se proposent pour créer et animer
d’autres écoles.
Le modèle se réplique facilement, une école
est toujours montée en partenariat avec une association
locale, une ONG, une paroisse ou une coopérative. Le
matériel est fourni par CDI (Comité pour la
Démocratisation Informatique l’organisation créée
par Rodrigo) et les élèves sont appelés
à contribution pour payer le salaire des professeurs.
La somme est symbolique (entre 2 et 4 euros), et peut être
remplacée par une heure ou deux de coups de balais
hebdomadaires. Le prix permet surtout une réelle appropriation
des élèves de leur école. Enseigner dans
les favelas n’est pas évident ; Rodrigo ne place
plus d’ordinateurs près des fenêtres depuis
qu’il s’est retrouvé couché sur
le sol avec ses élèves lors d’une fusillade.
Mais malgré cela, aucune des écoles créée
n’a jamais souffert de vols. Et il y a aujourd’hui
plus de 800 centres au Brésil et dans toute l’Amérique
Latine qui vu passé plus de 600 000 jeunes depuis 10
ans.
Les élèves sont extrêmement assidus pour
plusieurs raisons, d’abord parce que l’école
est un lieu où ils peuvent débattre, effectuer
des recherches et agir. De nombreuses campagnes de sensibilisation
sont nées dans les écoles de CDI sur des sujets
comme la santé, l’éducation ou l’environnement.
Pour Rodrigo « le meilleur moyen d’apprendre un
traitement de texte est de réaliser soi-même
un journal, et lorsque le sujet est la violence, l’élève
s’approprie autant l’outil que le message. »
Mais la principale raison pour les étudiants dont la
majorité a entre 10 et 18 ans, et dont 63 % sont en
situation de pauvreté extrême, c’est d’acquérir
des compétences pour trouver un emploi. D’après
les enquêtes de CDI, 87% des élèves de
CDI ont connu un changement positif grâce aux cours,
que ce soit l’obtention d’un emploi, le retour
à l’école ou l’éloignement
de la délinquance.
Aujourd’hui Rodrigo Baggio est un entrepreneur social
accompli et heureux, il parle de « franchise sociale
» pour étendre encore son modèle et vient
de signer un partenariat avec YMCA, le réseau d’auberges
de jeunesse internationale pour s’implanter en Afrique.
Voilà un ambitieux dont nous souhaitons la réussite
!
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