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Pilule
Bleue ou Pilule Rouge ?
Vous avez été nombreux à être touchés
par notre
portrait du Dr. V, ce chirurgien indien, fondateur de
l’Aravind Eye Hospital, qui a soigné des centaines
de milliers d’indiens gratuitement grâce à
un modèle particulièrement innovant. Vous vous
rappellerez sans doute qu’il produit à très
bas coût des lentilles intraoculaires, nécessaires
aux opérations de la cataracte, une maladie très
répandue sur le sous-continent. Et bien, à l’autre
bout du monde, nous avons rencontré David Green, celui
par lequel cette aventure a débuté.
David, la quarantaine joyeuse, est le fondateur de Project
Impact, une société qui favorise le transfert
de technologies médicales des pays développés
vers les pays émergents à des prix adaptés.
Son objectif est de rendre disponible aux plus pauvres des
plus pauvres les derniers remèdes médicaux en
respectant tous les brevets mais en produisant sur place,
à moindre coût. Comment cet ancien charpentier
volontaire a inventé et mis en pratique un modèle
ingénieux, efficace, rentable et susceptible de changer
le visage du secteur pharmaceutique ?
David est originaire de Pennsylvanie sur la côte Est
des Etats-Unis. Plus adepte de l’école buissonnière
que des longues et pénibles heures de cours du lycée
du village, il quitte l’école à l’âge
de 18 ans. Très doué de ces mains, il travaille
pendant 3 ans comme charpentier dans le Michigan. À
la suite d’intenses séances de méditation
qui lui font découvrir « la vraie nature de la
réalité », il prend conscience que tout
sur cette planète est temporaire... et qu’il
veut désormais consacrer son temps à résoudre
des problèmes sociaux.
« Si tu ne fais pas partie de la solution, tu fais partie
du problème » devient son leitmotiv et il décide
de reprendre des études en Sciences Sociales. Refusé
par de nombreuses universités, il se tourne vers la
seule spécialité qui l’accepte en Master
: la santé publique. Son diplôme en poche, il
est embauché en Californie par la fondation SEVA pour
travailler et financer des projets en Inde. Pendant 8 années,
il fait le tour du secteur associatif et acquiert la certitude
que le modèle n’a pas d’avenir. Il rencontre
le Dr. V et veut créer un modèle viable économiquement
et qui ne dépend pas de la générosité
des donateurs.
Dans le secteur des lentilles intraoculaires, il prend conscience
que seuls 2 ou 3 grandes multinationales contrôlent
la technologie grâce à des brevets déposés
partout dans le monde. Les lentilles sont vendues autour de
150 à 300 dollars dans les pays riches (car entièrement
remboursées par les assurances, qu’elles soient
publiques ou privées) et sont bien évidemment
hors de prix pour la large majorité des indiens.
Il réunit alors des ophtalmologistes, des scientifiques
à la retraite et des chercheurs entre deux postes pour
tenter de trouver une manière de produire des lentilles
sans casser de brevet. Étrangement, il y parvient assez
rapidement et se rend en Inde pour convaincre ses amis de
produire localement. Réticents au tout début,
David va mettre deux longues années à les convaincre.
En 1990 enfin, Aurolab, une société à
but non lucratif est créée à Madurai
dans le sud de l’Inde et grâce à une main
d’œuvre bon marché et une production à
grande échelle, les premières lentilles sont
vendues à 5 ou 6 dollars pièce.
Désormais, chaque année, 700 000 lentilles sont
produites dans les pays emergents pour 350 000 patients souffrants
de la cataracte et Aurolab est devenu le 3ème fabricant
mondial (en volume). David vient de lancer le même modèle
pour les appareils auditifs et rêve de le dupliquer
dans quelques mois pour les trithérapies (soins aux
séropositifs).
De retour du sommet de Davos lorsque nous l’avons rencontré,
David nous confie ses difficultés à se faire
comprendre et à convaincre les managers des multinationales
traditionnelles. Il est persuadé que son modèle
peut être largement dupliqué par des entrepreneurs
sociaux à travers le monde. Il fait l’analogie
entre le système économique actuel et la matrice
du célèbre film : « le souci est que ces
sociétés sont dessinées pour maximiser
le retour sur investissement et que même avec de la
bonne volonté, elles sont très limitées
car elles doivent satisfaire leurs actionnaires, je leur propose
de prendre l'autre pilule...».
L’objectif final de cette nouvelle approche sera de
rendre les technologies et les remèdes accessibles
au plus grand nombre et à moindre coût, sans
marketing et sans royalties à verser. « Quand
il y a une volonté, il y a un chemin ». David
le prouve chaque jour et nous a profondément donné
envie d’agir dans son sens.
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