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"Vers un monde sans pauvreté."
Chacun de nous a son modèle, son héros, un homme
ou une femme qu'il rêve d’approcher au moins une
fois dans sa vie. Nous avons rencontré le nôtre.
Né du constat qu’encore beaucoup de nos proches
ignoraient son histoire, notre voyage a un sens si nous contribuons,
à notre échelle, à le faire connaître.
Muhammad Yunus est le créateur du concept de micro-crédit,
une des plus importantes innovations du 20ème siècle
en matière de lutte contre la pauvreté et il
rêve, à l’horizon 2005, d’améliorer
la vie quotidienne de 100 millions de personnes à travers
le monde. Comment ce petit professeur d’économie
(il ne mesure qu'1m65) a créé en quelques années
un phénomène susceptible selon lui de «
renvoyer la pauvreté dans les musées »
?
Troisième fils d’une famille de 9 enfants, Muhammad
Yunus est né dans le Bengale Occidental en 1940. À
20 ans, brillant étudiant, il a la possibilité
d’aller passer son doctorat aux Etats-Unis sur le thème
« l’économie et le développement
». Il y passera 7 ans de sa vie, devenant professeur
d’économie à l’Université
du Colorado.
En 1971, pourtant, lors de la naissance du Bangladesh se séparant
du Pakistan, il décide de rentrer et obtient un poste
de responsable du Département d’Economie à
l’Université de Chittagong, la 2ème ville
du nouvel Etat indépendant. Trois ans après
son retour, une terrible famine s’abat sur le pays,
tuant 1,5 million de personnes. Cet événement
va changer sa vie : « Les gens mourraient de faim dans
la rue et moi je continuais à enseigner d’élégantes
théories économiques sans aucune prise avec
la réalité. J’ai commencé à
comprendre qu’il était très arrogant de
prétendre avoir des réponses en restant dans
une salle de classe et ai commencé à étudier
sur le terrain».
Il se rend dans le village de Jobra, juste à côté
de son Université et commence à discuter avec
ses habitants. Rapidement, il prend conscience que de nombreuses
femmes sont victimes d'un cercle vicieux dont elles ne peuvent
s'échapper. Incapables de s’adresser aux banques
traditionnelles (car jugées non solvables), elles sont
contraintes d’emprunter 60 Thakas (1 €) à
un usurier pour acheter quelques produits le matin, en récupérer
80 de la vente sur les marchés et le soir en rembourser
70. C’est donc le coût prohibitif du capital,
si infime soit-il, qui empêche de nombreuses femmes
de s’en sortir. Il décide alors, de sa poche,
de prêter 850 Thakas (24 €) à 42 femmes
parmi les plus pauvres de Jobra. Ces micro-prêts leur
suffisent pour, par exemple, acquérir une poule et
générer un revenu quotidien de la vente des
œufs chaque jour : « l’objectif était
de les faire rentrer dans un cycle économique et d’amorcer
un changement de mentalité». L’expérience
est un succès mais ne satisfait pas encore son ambition
grandissante.
Après avoir, en vain, déployé de nombreux
efforts pour convaincre les banques locales d’appliquer
sa méthode, il décide de monter sa propre structure
et duplique le modèle. La Grameen Bank, du mot village
en Bengali, naît en 1978 et s’étend rapidement
dans 20, 40, 100 villages du district.
Un quart de siècle plus tard, les résultats
sont incroyables : la Banque est présente dans 43 000
villages du Bangladesh, a déjà prêté
4 Milliards d’€ à 11 millions de clients
dont 94% sont des femmes (plus sûres et responsables
que les hommes). Les taux de remboursements sont supérieurs
à ceux des banques traditionnelles (de l’ordre
de 97 % !) grâce à une organisation en groupes
solidaires de 5, chacune des débitrices étant
responsables des engagements du groupe vis-à-vis de
la Grameen. Le modèle est appliqué désormais
dans plus de 45 pays à travers le monde, touche 60
Millions des personnes, dont 27 Millions parmi les plus pauvres
(dont le revenu est de moins de 1$/jour). Grâce au micro
crédit, 3 emprunteurs sur 4 se sortent d'une situtation
de pauvreté, et ce définitivement.
« Je souhaitais juste résoudre un problème
local et petit à petit, sans m’en apercevoir,
c’est devenu la Grameen Bank ». Pragmatique, humble
et volontaire, Muhammad Yunus est aussi une fantastique «
usine à idée ».
Depuis 10 ans, il s’est lancé dans d’autres
ambitieux projets (assurances maladie, télécommunications…),
tous basés sur un souci de résoudre un problème
social de manière durable, sans sacrifier la viabilité
économique. Les solutions viendront selon lui, des
nouveaux « entrepreneurs sociaux ou environnementaux
». Dès qu'il le peut, il exhorte les jeunes à
« ne jamais chercher un travail mais à le créer
» et reste persuadé que les entreprises à
but social sont le meilleur remède contre la pauvreté
et seront mieux armées dans le futur que les entreprises
traditionelles.
De nombreux admirateurs du modèle Grameen, dont Bill
Clinton, considèrent que Muhammad Yunus mériterait
un prix Nobel d’économie. Très loin de
ces préoccupations, il conclue notre entrevue en nous
rappelant que son objectif prioritaire reste d’atteindre
ces 100 Millions de personnes touchées, et «
qu’ensuite tout sera beaucoup plus facile… ».
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