|
Le Chirurgien Visionnaire
Govindappa Venkataswamy, surnommé Dr V., est un des
chirurgiens indiens les plus reconnus, et on estime qu'entre
150 et 200 000 patients sont passés sous ses mains
pour des opérations de la cataracte. Pourtant la première
chose qui frappe en le rencontrant est la déformation
de ses mains, une arthrose le ronge depuis plus de 50 ans…
Son initiative, à l’image de sa vie, nous a laissés
admiratifs.
On compte aujourd'hui dans le monde quelque 45 millions de
non-voyants et 135 millions de malvoyants, et la cataracte,
une maladie due au vieillissement et à des carences
alimentaires, est à l'origine de 19 millions de cas
de cécité, principalement en Asie et en Afrique.
En général, en cas de cataracte liée
au vieillissement, on peut procéder à une intervention
relativement rapide qui consiste à remplacer le cristallin
devenu opaque par une lentille intraoculaire. Cette chirurgie
fait toutefois appel à des techniques perfectionnées
et à un personnel qualifié et coûte cher.
Cette opération, le Dr. V. a trouvé le moyen
d’en faire profiter des centaines de milliers de patients
gratuitement, à des coûts minimes et selon un
modèle largement salué par l’Organisation
Mondiale de la Santé.
Fils d’un fermier du sud de l’Inde, il a grandi
dans un petit village du Tamil Nadu. À la suite d'études
de médecine, il s’engage en 1944 dans l’Armée
Britannique afin de participer à l’effort de
guerre. De retour en 1947, il assiste à la mort tragique
de 3 de ses cousines en couches et décide de faire
de l’obstétrique sa spécialité.
Une année plus tard, il est victime de très
sévères crises d’arthrites déformantes,
aussi brutales qu’inexpliquées. Ses membres le
font atrocement souffrir et en quelques mois, il se retrouve
cloué à un lit d’hôpital sans pouvoir
bouger. Ce n’est qu’au bout d’une année
qu’il arrive, suite à de fantastiques efforts
de rééducation, à se lever seul. De terribles
séquelles le poursuivent encore actuellement, ses mains
sont difformes, sa démarche difficile et sa souffrance
aussi intense que silencieuse.
Incapable alors de pratiquer l’obstétrique, il
se forme à la médecine ophtalmique et très
rapidement prend en charge la responsabilité du service
de soins oculaires de l’hôpital public de Madurai.
Malgré son handicap, il devient l’un des meilleurs
chirurgiens d’Asie et opère quotidiennement des
dizaines de patients. Pendant ces 2 décennies, il se
bat pour obtenir des fonds du gouvernement central indien
afin de monter des camps mobiles, unique moyen selon lui d’atteindre
et de soigner les patients les plus pauvres dans les villages
reculés. Cette initiative est une réussite mais
ne satisfait pas son ambition grandissante.
Il doit attendre sa retraite forcée en 1976 pour monter
une petite structure familiale de 11 lits, l’Aravind
Eye Hospital, et appliquer un modèle inédit
: ceux qui peuvent payer financent les soins gratuits des
plus pauvres. L’hôpital, économiquement
indépendant et très rentable, déménage
rapidement dans des locaux beaucoup plus spacieux. Les patients
affluent, de multiples camps mobiles sont mis en place, des
chirurgiens et infirmières sont formés et 2
nouveaux hôpitaux sont inaugurés dans d’autres
villes de l’Etat.
Cependant, un problème demeure. Pour réaliser
l’opération de la cataracte, les chirurgiens
doivent acheter à des prix prohibitifs (autour de 150$)
des lentilles aux quelques multinationales américaines
se partageant le marché. Il faut donc trouver un moyen
de fabriquer ces lentilles en Inde à faible coût.
En 1992, David Green, un californien partenaire de l’hôpital
déniche et achète les méthodes de fabrication
de ces précieuses lentilles. Aurolab, une entité
indépendante de l’hôpital est alors créée
afin de lancer l’expérience.
Ses résultats, aujourd’hui, sont surprenants.
En 2002, 2 500 lentilles sortent chaque jour à des
prix unitaires de 5 dollars et sont exportées dans
le monde entier, 2 nouveaux hôpitaux ont été
construits, un million quatre cent mille patients sont auscultés
chaque année, 350 000 sont opérés (30%
sont payants, 70% gratuits), un centre de recherche et développement
a été créé et 20 à 25 camps
sont organisés chaque semaine pour prévenir
et soigner dans les zones rurales.
L’hôpital est considéré comme un
des meilleurs centres mondiaux d’ophtalmologie devant
de nombreux hôpitaux américains et l’OMS
en a fait son centre modèle pour la lutte contre la
cécité. 10% de tous les ophtalmologistes asiatiques
sont venus y suivre des formations, il n’est pas rare
d’y croiser des médecins européens, japonais
ou américains et, depuis quelques années maintenant,
des hôpitaux suivant le même modèle ont
été montés au Cambodge, au Népal,
en Egypte ou au Malawi.
Lorsque l’on aborde toutes ses réussites, le
Dr. V, au crépuscule de sa vie, rappelle humblement
tout le chemin qu’il reste à parcourir pour éradiquer
la cécité à travers le monde. Il se souvient
d’un de ces premiers voyages aux Etats-Unis et conclue
avec malice : « J’ai été impressionné
par les trésors d’intelligence et d’organisation
de Mc Donald’s pour rendre disponibles des hamburgers
à bas prix à tous les coins de rues. Pourquoi
ne pas déployer les mêmes efforts pour une cause
encore plus noble : rendre la vue ? ».
* Le Dr.V recherche activement des structures
médicales, des agences de développement ou des
ONG francophones spécialisées dans les soins
ophtalmiques afin de dupliquer ce modèle en Afrique
de l'Ouest. Il ne recherche pas de fonds mais uniquement des
partenaires. Si vous disposez de contacts pouvant l'aider
dans son admirable inititiative, merci de nous les transmettre
en nous écrivant à n o u s (at) 80hommes.com
Pour lire d'autres PORTRAITS
Pour voir notre PARCOURS
|