|
Karl
Stützle, le loueur de produits chimiques
Lorsque nous avons décidé de partir autour du
Monde pour identifier et raconter les meilleurs pratiques
de Développement Durable, nous ne pensions vraiment
pas, dans un premier temps, qu’un chimiste pourrait
nous intéresser. C’était faux. L’expérience
de SafeChem, société allemande filiale du géant
américain Dow Chemicals est réellement porteuse
de sens.
Les solvants chlorés, voilà ce que vend Safechem.
Sexy ? Non pas vraiment, d’autant que ce type de produits
pollue pour des siècles lorsqu’ils se retrouvent
perdus dans les eaux et les sols. C’est d’ailleurs
suite à une vague de protestation et aux rumeurs d’interdiction
de son utilisation à la fin des années 90 en
Allemagne que Safechem s’est créé avec
l’idée de vendre ce produit différemment.
Le solvant chloré est utilisé pour dégraisser
les pièces métalliques. Ce procédé
est utile pour le fonctionnement des airbags, pour la fabrication
des couteaux suisses, pour l’entretien des avions…
D’autres procédés existent, généralement
moins efficaces et pas toujours moins polluants.
Karl Stützle est en 1990 un cadre de l’entreprise
Dow à qui l’on confie le casse tête des
solvants chlorés. Le marché est en déconfiture,
et les parties prenantes (parti écologistes, ONGs)
montrent du doigt ces produits dangereux. Mais M. Stützle
ne se laisse pas abattre et propose une solution originale.
Son idée part du constat que s’il est bien manipulé,
le nettoyage peut être effectué avec beaucoup
moins de solvant. Il va donc créer une mini révolution
chez Dow en suggérant que l’objectif n’est
plus de vendre un maximum de solvant mais de vendre un maximum
de service de dégraissage des pièces métalliques…
Nuance !
Ce changement de perspective implique que le solvant n’est
qu’un élément de la prestation et que
celui-ci est vendu dans un circuit fermé. Le client
final branchant dans son bac de néttoyage hermétique
le container plein de solvant à l’entrée,
un container vide à la sortie. Une fois ce dernier
rempli, il le renvoie à Safechem (cf schéma).
Dans ce système parfaitement contrôlé
et hermétique, pas une goûte de solvant ne s’est
échappée et tout le solvant utilisé est
récupéré pour être recyclé
ou incinéré, ce qui permet de produire de l’énergie.
Grâce à cette logique de « service »,
qui remplace celle d’un « industrie-commerce »
les quantités utilisées de solvants chlorés
sont passées de 25 tonnes par an par client en 1988
à 2 tonnes en 2002 pour un chiffre d’affaires
en augmentation. Puisque ce service a permis à Safechem
de vendre des prestations de conseil, de contrôle aux
clients finaux, ravis de voir leur procédé de
dégraissage s’améliorer en leur exigeant
moins de temps et d’énergie.
Ce changement ne s’est pas opéré sans
difficulté. Il existe entre Safechem et le client final
un acteur, le distributeur, qui craignait d’être
court-circuité. En effet l'utilisation de containers
propriété de Safechem impliquait un lien direct
entre Safechem et L'entreprise utilisatrice finale. Le plus
gros effort déployé par M. Stützle et ses
équipes a donc été de convaincre les
clients finaux mais surtout les distributeurs que cette nouvelle
façon de faire était la seule façon de
sauver toute la branche, et que l’intention de Safechem
n’était pas de phagocyter le métier de
distribution mais de trouver une alternative crédible
à des pratiques désastreuses pour l’environnement.
Aujourd’hui, Safechem est présent en Autriche,
en Suisse, en France et en Italie et compte 28 employés
pour un chiffre d’affaires de 12 Millions d’euros
en 2002.
Lorsqu’on demande à M Stützle d’où
lui est venue l’idée de Safechem, il y voit une
double influence. Celle d’un homme sensible aux problèmes
écologiques, ayant passé son enfance à
la campagne et membre actif du WWF. Mais aussi celle d’un
businessman qui a vu qu’une autre façon de faire
permettait de sauver une filiale et une activité pour
le même niveau d’efficacité.
Aujourd’hui Safechem est cité en exemple par
le Ministre de l’Environnement Allemand comme une voie
intelligente de résolution du dilemme écologique.
Safechem est intéressant car il montre bien que la
prise de conscience écologique n’implique pas
nécessairement de perdre en qualité de vie ou
en efficacité d’utilisation.
L'histoire de M Stützle est aussi l'exemple d'un homme
tentant de mettre en cohérence ses convictions, qui
le font cotiser pour sauver les tigres blancs indiens d'un
côté, et son métier de chimiste de l'autre.
Mission réussie !
|